Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas à la lorgnette. Tu ne veux pas venir te promener ?

« — Oui, je veux bien. Non, je ne veux pas.

« Les deux phrases contradictoires étaient dites d’une seule haleine. Bronja ne retint que la seconde et reprit :

« — Pourquoi ?

« — Il fait trop chaud, il fait trop froid. (Il avait laissé la lorgnette.)

« — Voyons, Boris, sois gentil. Tu sais que cela ferait plaisir à maman que nous sortions ensemble. Où as-tu mis ton chapeau ?

« — Vibroskomenopatof. Blaf blaf.

« — Qu’est-ce que ça veut dire ?

« — Rien.

« — Alors pourquoi le dis-tu ?

« — Pour que tu ne comprennes pas.

« — Si ça ne veut rien dire, ça m’est égal de ne pas comprendre.

« — Mais si ça voulait dire quelque chose, tu ne comprendrais tout de même pas.

« — Quand on parle, c’est pour se faire comprendre.

« — Veux-tu, nous allons jouer à faire des mots pour nous deux seulement les comprendre.

« — Tâche d’abord de bien parler français.

« — Ma maman, elle, parle le français, l’anglais, le romain, le russe, le turc, le polonais, l’italoscope, l’espagnol, le perruquois et le xixitou.

« Tout ceci dit très vite, dans une sorte de fureur lyrique.