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avec moi-même. Je commence seulement à m’y reconnaître.

« Nous avons déjà fait, Édouard et moi, quelques petites courses de montagne, très amusantes ; mais à vrai dire, ce pays ne me plaît pas beaucoup ; à Édouard non plus. Il trouve le paysage « déclamatoire ». C’est tout à fait ça.

« Ce qu’il y a de meilleur ici, c’est l’air qu’on y respire ; un air vierge et qui vous purifie les poumons. Et puis nous ne voulons pas laisser Laura trop longtemps seule, car il va sans dire qu’elle ne peut pas nous accompagner. La société de l’hôtel est assez divertissante. Il y a des gens de toutes les nationalités. Nous fréquentons surtout une doctoresse polonaise, qui passe ici ses vacances avec sa fille et un petit garçon qu’on lui a confié. C’est même pour retrouver cet enfant que nous sommes venus jusqu’ici. Il a une sorte de maladie nerveuse que la doctoresse soigne selon une méthode toute nouvelle. Mais ce qui fait le plus de bien au petit, très sympathique ma foi, c’est d’être amoureux fou de la fille de la doctoresse, de quelques années plus âgée que lui et qui est bien la plus jolie créature que j’aie vue de ma vie. Du matin au soir ils ne se quittent pas. Ils sont si gentils tous les deux ensemble que personne ne songe à les blaguer.

« Je n’ai pas beaucoup travaillé, et pas ouvert un livre depuis mon départ ; mais beaucoup réfléchi. La conversation d’Édouard est d’un intérêt prodigieux. Il ne me parle pas beaucoup directement, bien qu’il affecte de me traiter en secrétaire ; mais