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elle invente tout ce qu’elle peut pour excuser sa conduite. Bref, c’est une femme très bien, une tout à fait belle nature. Et quelqu’un qui est décidément très bien aussi, c’est Édouard. Comme elle ne savait plus que faire, ni où aller, il lui a proposé de l’emmener en Suisse ; et du même coup il m’a proposé de les accompagner, parce que ça le gênait de voyager en tête à tête avec elle, vu qu’il n’a pour elle que des sentiments d’amitié. Nous voici donc partis tous les trois. Ça s’est décidé en cinq sec ; juste le temps de faire ses valises et de me nipper (car tu sais que j’avais quitté la maison sans rien). Ce qu’Édouard a été gentil en la circonstance, tu ne peux t’en faire une idée ; et de plus il me répétait tout le temps que c’était moi qui lui rendais service. Oui, mon vieux, tu ne m’avais pas menti : ton oncle est un type épatant.

« Le voyage a été assez pénible parce que Laura était très fatiguée et que son état (elle commence son troisième mois de grossesse) exigeait beaucoup de ménagements ; et que l’endroit où nous avions résolu d’aller (pour des raisons qu’il serait trop long de te dire) est d’accès assez difficile. Laura du reste compliquait souvent les choses en refusant de prendre des précautions ; il fallait l’y forcer ; elle répétait tout le temps qu’un accident était ce qui pourrait lui arriver de plus heureux. Tu penses si nous étions aux petits soins avec elle. Ah ! mon ami, quelle femme admirable ! Je ne me sens plus le même qu’avant de l’avoir connue et il y a des pensées que je n’ose plus formuler, des mouvements de mon cœur