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pouvait d’art dramatique sans peinture des passions. À son tour, il protesta que la peinture des passions était fatalement d’un fâcheux exemple. La discussion continua ainsi quelque temps ; et comme je comparais alors cet élément pathétique à tel déchaînement des instruments de cuivre dans un orchestre :

« — Par exemple, à cette entrée de trombones, que vous admirez dans telle symphonie de Beethoven…

« — Mais je ne l’admire pas du tout, moi, cette entrée de trombones, s’est-il écrié avec une véhémence extraordinaire. Pourquoi voulez-vous me faire admirer ce qui me trouble ?

« Il tremblait de tout son corps. L’accent d’indignation, d’hostilité presque, de sa voix, me surprit et parut l’étonner lui-même, car il reprit sur un ton plus calme :

« — Avez-vous remarqué, que tout l’effort de la musique moderne est de rendre supportables, agréables même, certains accords que nous tenions d’abord pour discordants ?

« — Précisément, ripostai-je ; tout doit enfin se rendre, et se réduire à l’harmonie.

« — À l’harmonie ! répéta-t-il en haussant les épaules. Je ne vois là qu’une accoutumance au mal, au péché. La sensibilité s’émousse ; la pureté se ternit ; les réactions se font moins vives ; on tolère, on accepte…

« — À vous entendre, on n’oserait même plus sevrer les enfants.

« Mais il continuait sans m’entendre :