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« — Merci… Merci…

« Il me serrait convulsivement dans ses bras.

« — Mais promettez-moi de ne plus penser à…

« — Oh ! cela c’est autre chose, dit-il en m’interrompant brusquement. Puis tout aussitôt, et comme pour m’empêcher d’insister, en détournant mon attention :

« — Figurez-vous que, l’autre jour, la mère d’une de mes anciennes élèves a voulu m’emmener au théâtre ! Il y a un mois environ. C’était à une matinée des Français. Depuis plus de vingt ans, je n’avais plus remis les pieds dans une salle de spectacles. On jouait Hernani, de Victor Hugo. Vous connaissez ? Il paraît que c’était très bien joué. Tout le monde s’extasiait. Pour moi, j’ai souffert d’une manière indicible. Si la politesse ne m’avait retenu, jamais je n’aurais pu rester… Nous étions dans une loge. Mes amis cherchaient à me calmer. J’aurais interpellé le public. Oh ! comment peut-on ? Comment peut-on ?…

« Ne comprenant pas bien d’abord à quoi il en avait, je demandai :

« — Vous trouviez les acteurs détestables ?

« — Évidemment. Mais comment ose-t-on présenter de pareilles turpitudes sur la scène ?… Et le public applaudissait ! Et il y avait des enfants dans la salle ; des enfants que les parents avaient amenés là, connaissant la pièce… C’est monstrueux. Et cela, sur un théâtre que l’État subventionne !

« L’indignation de cet excellent homme m’amusait. À présent, je riais presque. Je protestai qu’il ne se