Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


XVIII


Journal d’Édouard

« 2 heures. — Perdu ma valise. C’est bien fait. De tout ce qu’elle contient, je ne tenais à rien qu’à mon journal. Mais j’y tenais trop. Au fond, fort amusé par l’aventure. En attendant, j’aimerais ravoir mes papiers. Qui les lira ?… Peut-être, depuis que je les ai perdus, m’exagèrai-je leur importance. Ce journal s’arrêtait à mon départ pour l’Angleterre. Là-bas j’ai tout noté sur un autre carnet ; que je laisse, à présent que je suis de retour en France. Le nouveau, sur qui j’écris ceci, ne quittera pas de sitôt ma poche. C’est le miroir qu’avec moi je promène. Rien de ce qui m’advient ne prend pour moi d’existence réelle, tant que je ne l’y vois pas reflété. Mais depuis mon retour, il me semble que je m’agite dans un rêve. Que cette conversation avec Olivier fut pénible ! Et je m’en promettais tant de joie… Puisse-t-elle l’avoir laissé aussi peu satisfait que moi-même ; aussi peu satisfait de lui que de moi. Je n’ai su pas plus parler moi-même, hélas ! que le faire parler. Ah ! qu’il est difficile, le moindre mot, quand il entraîne