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frère. Oui, je vous le dis tout simplement ; à quoi bon des circonlocutions, entre nous ?… Je n’ai pas l’honneur d’être connu de vos parents, qui naturellement ne laisseront pas Olivier partir avec moi, si vous n’intervenez pas activement. Sans doute trouverez-vous le moyen de les disposer en ma faveur. Vous les connaissez bien, je suppose, et devez savoir comment les prendre. Vous voudrez bien faire cela pour moi ?

Il attendit un instant, puis, comme Vincent se taisait, reprit :

— Écoutez, Vincent… Je quitte Paris bientôt… pour je ne sais encore où. J’ai absolument besoin d’emmener un secrétaire… Vous savez que je fonde une revue. J’en ai parlé à Olivier. Il me paraît avoir toutes les qualités requises… Mais je ne veux pas me placer seulement à mon point de vue égoïste : je dis que toutes ses qualités à lui me paraissent trouver ici leur emploi. Je lui ai proposé la place de rédacteur en chef… Rédacteur en chef d’une revue, à son âge !… Avouez que ça n’est pas ordinaire.

— C’est si peu ordinaire que je crains que ça n’effraie un peu mes parents, dit Vincent, tournant enfin vers lui les yeux et le regardant fixement.

— Oui ; vous devez avoir raison. Il vaut peut-être mieux ne pas leur parler de cela. Simplement, vous pourriez mettre en avant l’intérêt et le profit d’un voyage que je lui ferais faire, hein ? Vos parents doivent comprendre qu’à son âge, on a besoin de voir du pays. Enfin vous vous arrangerez avec eux, pas ?