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étrange pli sur la lèvre de celui-ci, où il crut voir de l’ironie ; or, il craignait la moquerie par-dessus tout au monde. Était-ce bien là pourtant ce qui le fit changer de ton ? Je me demande si, plutôt, l’intuition brusque d’une sorte de connivence, entre Vincent et lui… Il reprit donc, jouant au parfait naturel, et sur l’air de « point n’est besoin de feindre avec vous » :

— Eh bien ! j’ai eu avec le jeune Olivier une conversation des plus agréables. Il me plaît tout à fait, ce garçon.

Passavant tâchait de cueillir le regard de Vincent (la nuit n’était pas très obscure) ; mais celui-ci regardait fixement devant lui.

— Et voici, mon cher Molinier, le petit service que je voulais vous demander…

Mais, ici encore, il éprouva le besoin de mettre un temps et pour ainsi dire : de quitter un instant son rôle, à la manière d’un acteur bien assuré de tenir son public, désireux de se prouver et de lui prouver qu’il le tient. Il se pencha donc en avant vers Lilian, et à voix très haute, comme pour faire ressortir le caractère confidentiel de ce qu’il avait dit et de ce qu’il allait dire :

— Chère amie, vous êtes bien sûre que vous ne prenez pas froid ? Nous avons ici un plaid qui ne fait rien…

Puis, sans attendre la réponse, rencogné dans le fond de l’auto, près de Vincent, à voix de nouveau basse :

— Voici : Je voudrais emmener cet été votre