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qu’il préférait désavouer. Puis, semblant quitter son sujet, comme ces pêcheurs de truite qui, par crainte d’effaroucher leur proie, jettent l’appât très loin, puis insensiblement le ramènent :

— À propos, je vous remercie de m’avoir envoyé votre frère. Je craignais que vous n’eussiez oublié.

Vincent fit un geste. Robert reprit :

— L’avez-vous revu depuis ?… Pas eu le temps, hein ?… Alors, c’est curieux que vous ne m’ayez pas encore demandé des nouvelles de cet entretien. Au fond, cela vous est indifférent. Vous vous désintéressez complètement de votre frère. Ce que pense Olivier, ce qu’il sent, ce qu’il est et ce qu’il voudrait être, vous ne vous en inquiétez jamais…

— Ce sont des reproches ?

— Parbleu oui. Je ne comprends pas, je n’admets pas votre apathie. Quand vous étiez malade, à Pau, passe encore ; vous deviez ne penser qu’à vous ; l’égoïsme faisait partie du traitement. Mais, à présent… Quoi ! vous avez près de vous cette jeune nature frémissante, cette intelligence en éveil, pleine de promesses, qui n’attend qu’un conseil, qu’un appui…

Il oubliait, à cet instant, que lui de même il avait un frère.

Vincent pourtant n’était point sot ; l’exagération de cette sortie, l’avertissait qu’elle n’était pas très sincère, que l’indignation ne venait là que pour amener autre chose. Il se taisait, attendant venir. Mais Robert s’arrêta net ; il venait de surprendre, à la lueur de la cigarette que fumait Vincent, un