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il a toujours besoin d’argent. Regarde donc : je crois que j’entends la corne de son auto. Il est en avance d’une demi-heure ; mais tant mieux… Pour ce que nous disions…

— Je viens plus tôt, dit Robert en entrant, parce que j’ai pensé qu’il serait amusant d’aller dîner à Versailles. Ça vous va ?

— Non, dit Lady Griffith ; les Réservoirs m’assomment. Allons plutôt à Rambouillet ; on a le temps. Nous y mangerons moins bien, mais nous y causerons mieux. Je veux que Vincent te raconte ses histoires de poissons. Il en connaît d’étonnantes. Je ne sais pas si ce qu’il dit est vrai, mais c’est plus amusant que les plus beaux romans du monde.

— Ce ne sera peut-être pas l’avis d’un romancier, dit Vincent.

Robert de Passavant tenait un journal du soir à la main :

— Savez-vous que Brugnard vient d’être pris comme chef de cabinet à la Justice ? C’est le moment de faire décorer votre père, dit-il en se tournant vers Vincent. Celui-ci haussa les épaules.

— Mon cher Vincent, reprit Passavant, permettez-moi de vous dire que vous le froisserez beaucoup en ne lui demandant pas ce petit service — qu’il sera si heureux de vous refuser.

— Si vous commenciez par le lui demander pour vous-même, riposta Vincent. Robert fit une sorte de moue affectée :

— Non ; moi, je mets ma coquetterie à ne pas