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Vincent s’était relevé. Il s’approcha de la fenêtre. Lilian reprit :

— D’abord, et pour en finir avec Laura, je trouve qu’on pourrait bien lui envoyer les cinq mille francs que tu lui avais promis. Maintenant que tu as de l’argent, pourquoi ne tiens-tu pas ta parole ? Est-ce par besoin de te sentir encore plus coupable envers elle ? Ça ne me plaît pas du tout. J’ai horreur des goujateries. Tu ne sais pas couper les mains proprement. Ceci fait, nous irons passer l’été là où ce sera le plus profitable pour tes travaux. Tu m’as parlé de Roscoff ; moi je préférerais Monaco, parce que je connais le Prince, qui pourra nous emmener en croisière et t’occuper à son institut.

Vincent se taisait. Il lui déplaisait de dire à Lilian, et il ne le lui raconta que plus tard, qu’avant de venir la retrouver, il était passé à l’hôtel où Laura l’avait si désespérément attendu. Soucieux de se sentir enfin quitte, il avait glissé dans une enveloppe ces quelques billets sur lesquels elle ne comptait plus. Il avait confié cette enveloppe à un garçon, puis attendu dans le vestibule l’assurance que le garçon l’aurait remise en mains propres. Peu d’instants après, le garçon était redescendu, rapportant l’enveloppe, en travers de laquelle Laura avait écrit :

« Trop tard. »

Lilian sonna ; demanda qu’on apportât son manteau. Quand la servante fut sortie :

— Ah ! je voulais te dire, avant qu’il n’arrive : Si Robert te propose un placement pour tes cinquante mille francs, méfie-toi. Il est très riche, mais