Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/192

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les dire. Si tu en ris, je les garderai pour moi seul ; et elles m’empoisonneront.

— Alors parle, dit-elle avec un air résigné. Puis, comme il se taisait, et, puérilement, cachait son front dans la jupe de Lilian : — Allons ! qu’attends-tu ?

Elle le saisit par les cheveux et le força à relever la tête :

— Mais c’est qu’il prend cela vraiment au sérieux, ma parole ! Il est tout pâle. Écoute, mon petit, si tu veux faire l’enfant, ça ne me va pas du tout. Il faut vouloir ce que l’on veut. Et puis, tu sais : je n’aime pas les tricheurs. Quand tu cherches à faire monter dans ta barque, sournoisement, ce qui n’a que faire d’y monter, tu triches. Je veux bien jouer avec toi ; mais franc jeu ; et, je t’en avertis : c’est pour te faire réussir. Je crois que tu peux devenir quelqu’un de très important, de considérable ; je sens en toi une grande intelligence et une grande force. Je veux t’aider. Il y a assez de femmes qui font rater la carrière de ceux dont elles s’éprennent ; moi, je veux que ce soit le contraire. Tu m’as déjà parlé de ton désir de lâcher la médecine pour des travaux de sciences naturelles ; tu regrettais de ne pas avoir assez d’argent pour cela… D’abord, tu viens de gagner au jeu ; cinquante mille francs, c’est déjà quelque chose. Mais promets que tu ne joueras plus. Je mettrai à ta disposition tout l’argent qu’il faudra, à condition, si on dit que tu te fais entretenir, que tu aies la force de hausser les épaules.