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XVI


La culture positive de Vincent le retenait de croire au surnaturel ; ce qui donnait au démon de grands avantages. Le démon n’attaquait pas Vincent de front ; il s’en prenait à lui d’une manière retorse et furtive. Une de ses habiletés consiste à nous bailler pour triomphantes nos défaites. Et ce qui disposait Vincent à considérer sa façon d’agir avec Laura comme une victoire de sa volonté sur ses instincts effectifs, c’est que, naturellement bon, il avait dû se forcer, se raidir, pour se montrer dur envers elle.

À bien examiner l’évolution du caractère de Vincent dans cette intrigue, j’y distingue divers stades, que je veux indiquer, pour l’édification du lecteur :

1° La période du bon motif. Probité. Consciencieux besoin de réparer une faute commise. En l’espèce : l’obligation morale de consacrer à Laura la somme que ses parents ont péniblement économisée pour subvenir aux premiers frais de sa carrière. N’est-ce pas là se sacrifier ? Ce motif n’est-il pas décent, généreux, charitable ?

2° La période de l’inquiétude. Scrupules. Douter si cette somme consacrée sera suffisante, n’est-ce