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cherchait pas à la comprendre ; il la niait ; il lui tournait le dos. C’était absurde, trouvez pas ? C’étaient des gens sans appétit, et même sans gourmandise. Pas comme nous autres… hein ?

Olivier avait achevé son second verre de porto et sa seconde cigarette. Il fermait à demi les yeux, à demi couché dans son confortable fauteuil, et, sans rien dire, marquait son assentiment par de légers mouvements de tête. À ce moment, on entendit sonner et presque aussitôt un domestique entra, qui présenta à Robert une carte. Robert prit la carte, y jeta les yeux et la posa près de lui sur son bureau :

— C’est bien. Priez-le d’attendre un instant. — Le domestique sortit. — Écoutez, mon petit Olivier, je vous aime bien et je crois que nous pourrons très bien nous entendre. Mais voici quelqu’un qu’il me faut absolument recevoir et qui tient à me voir seul.

Olivier s’était levé.

— Je vais vous faire sortir par le jardin, si vous permettez… Ah ! pendant que j’y pense : ça vous ferait-il plaisir d’avoir mon nouveau livre ? J’en ai précisément ici un exemplaire sur hollande…

— Je n’ai pas attendu de le recevoir de vous pour le lire, dit Olivier qui n’aimait pas beaucoup le livre de Passavant et tâchait de s’en tirer sans flagornerie tout en restant aimable. Passavant surprit-il dans le ton de la phrase, une légère nuance de dédain ? Il reprit bien vite :

— Oh ! ne cherchez pas à m’en parler. Si vous me disiez que vous l’aimez, je serais forcé de mettre en