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— Des vers ?… Je sais que vous faites des vers.

Olivier rougit de nouveau.

— Oui, votre frère vous a trahi. Et vous connaissez sans doute d’autres jeunes qui seraient tout prêts à collaborer… Il faut que cette revue devienne une plateforme de ralliement pour la jeunesse. C’est sa raison d’être. Je voudrais que vous m’aidiez à rédiger une espèce de prospectus-manifeste qui indiquerait, sans les préciser trop, les nouvelles tendances. Nous en reparlerons. Il faut faire choix de deux ou trois épithètes ; pas des néologismes ; de vieux mots très usagés, qu’on chargera d’un sens tout neuf et qu’on imposera. Après Flaubert, on a eu : « nombreux et rythmé » ; après Leconte de Lisle : « hiératique et définitif »… Tenez, qu’est-ce que vous penseriez de : « vital ». Hein ?… « Inconscient et vital »… Non ?… « Élémentaire, robuste et vital » ?

— Je crois qu’on pourrait encore trouver mieux, s’enhardit à dire Olivier, qui souriait sans sembler approuver beaucoup.

— Allons, encore un verre de porto…

— Pas tout à fait plein, je vous prie.

— Voyez-vous, la grande faiblesse de l’école symboliste, c’est de n’avoir apporté qu’une esthétique ; toutes les grandes écoles ont apporté, avec un nouveau style, une nouvelle éthique, un nouveau cahier des charges, de nouvelles tables, une nouvelle façon de voir, de comprendre l’amour, et de se comporter dans la vie. Le symboliste, lui, c’est bien simple : il ne se comportait pas du tout dans la vie ; il ne