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révèlent la précocité de sa pensée. Il rougit facilement. Il est tendre. Il a beau se montrer affable envers tous, je ne sais quelle secrète réserve, quelle pudeur, tient ses camarades à distance. Il souffre de cela. Sans Bernard, il en souffrirait davantage.

Molinier s’était un instant prêté, comme fait Bernard à présent, à chacun des groupes ; par complaisance, mais rien de ce qu’il entend ne l’intéresse.

Il se penchait par-dessus l’épaule du lecteur. Bernard, sans se retourner, l’entendait dire :

— Tu as tort de lire les journaux ; ça te congestionne.

Et l’autre repartir d’une voix aigre :

— Toi, dès qu’on parle de Maurras, tu verdis.

Puis un troisième, sur un ton goguenard, demander :

— Ça t’amuse, les articles de Maurras ?

Et le premier répondre :

— Ça m’emmerde ; mais je trouve qu’il a raison.

Puis un quatrième, dont Bernard ne reconnaissait pas la voix :

— Toi, tout ce qui ne t’embête pas, tu crois que ça manque de profondeur.

Le premier ripostait :

— Si tu crois qu’il suffit d’être bête pour être rigolo !

— Viens, dit à voix basse Bernard, en saisissant brusquement Olivier par le bras. Il l’entraîna quelques pas plus loin :

— Réponds vite ; je suis pressé. Tu m’as bien dit que tu ne couchais pas au même étage que tes parents ?