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relevez-vous. Il ne faut pas qu’il vous voie ainsi. Du courage. Nous allons inventer quelque chose, je vous le promets. Voyons ! séchez vos yeux. Cela n’avance à rien de pleurer. Regardez-vous dans la glace. Vous êtes toute congestionnée. Passez un peu d’eau sur votre visage. Quand je vous vois pleurer, je ne peux plus penser à rien… Tenez ! le voici ; je l’entends.

Il alla à la porte et l’ouvrit pour faire rentrer Bernard ; et tandis que Laura, tournant le dos à la scène, s’occupait devant sa toilette à ramener le calme sur ses traits :

— Et maintenant, Monsieur, puis-je vous demander quand il me sera permis de rentrer en possession de mes affaires ?

Ceci était dit en regardant Bernard bien en face, avec, sur les lèvres, toujours le même pli d’ironie souriante.

— Sitôt qu’il vous plaira, Monsieur ; mais il faut bien que je vous avoue que ces affaires qui vous manquent, vous font sûrement moins défaut qu’à moi. C’est ce que vous comprendriez, j’en suis sûr, si seulement vous connaissiez mon histoire. Sachez seulement que, depuis ce matin, je suis sans gîte, sans foyer, sans famille, et prêt à me jeter à l’eau si je ne vous avais pas rencontré. Je vous ai longtemps suivi ce matin, quand vous causiez avec Olivier, mon ami. Il m’avait tant parlé de vous ! J’aurais voulu vous aborder. Je cherchais un biais, un moyen… Quand vous avez jeté votre bulletin de consigne, j’ai béni le sort. Oh ! ne me prenez pas pour un vo-