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ma valise et que vous devez avoir sur vous. Ne remontez que dans dix minutes.

Tout cela était dit assez gravement, mais sur un ton qui n’avait rien de comminatoire. Cependant Bernard reprenait son aplomb.

— J’étais en effet venu pour cela. Vous ne vous êtes pas trompé. Et je commence à croire que je ne m’étais pas trompé non plus.

— Qu’entendez-vous par là ?

— Que vous êtes bien celui que j’espérais.

Édouard tâchait en vain de prendre un air sévère. Il s’amusait énormément. Il fit une sorte de léger salut moqueur :

— Je vous remercie. Reste à examiner la réciproque. Je pense, puisque vous êtes ici, que vous avez lu mes papiers ?

Bernard qui, sans sourciller, soutenait le regard d’Édouard, sourit à son tour avec audace, amusement, impertinence, et s’inclinant :

— N’en doutez pas. Je suis ici pour vous servir.

Puis, comme un elfe, il s’élança dans l’escalier.

Lorsque Édouard rentra dans la chambre, Laura sanglotait. Il s’approcha. Elle posa le front sur son épaule. La manifestation de l’émotion le gênait, lui était presque insupportable. Il se surprit à lui taper doucement dans le dos, comme on fait à un enfant qui tousse :

— Ma pauvre Laura, disait-il ; voyons, voyons… Soyez raisonnable.