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— Je n’ai pas de famille.

— Enfin, le nom de vos parents.

— Je n’ai pas de parents. C’est-à-dire : je suis ce que sera cet enfant que vous attendez ; un bâtard.

Le sourire quitta soudain les traits de Laura ; outrée par cette insistance à entrer dans l’intimité de sa vie et à violer son secret :

— Mais enfin, comment savez-vous ?… Qui vous a dit ?… Vous n’avez pas le droit de savoir…

Bernard était lancé ; il parlait à présent à voix haute et hardie :

— Je sais à la fois ce que sait mon ami Olivier ; ce que sait votre ami Édouard. Mais chacun d’eux ne connaît encore qu’une moitié de votre secret. Je suis probablement le seul avec vous à le connaître tout entier… Vous voyez bien qu’il faut que je devienne votre ami, ajouta-t-il plus doucement.

— Comme les hommes sont indiscrets, murmura Laura tristement. — Mais… si vous n’avez pas vu Édouard, il n’a pu vous parler. Vous a-t-il donc écrit ?… Est-ce que c’est lui qui vous envoie ?…

Bernard s’était coupé ; il avait parlé trop vite, cédant au plaisir de fanfaronner un peu. Il remuait négativement la tête. Le visage de Laura s’assombrissait de plus en plus. À ce moment, on entendit frapper à la porte.

Qu’ils le veuillent ou non, une émotion commune crée un lien entre deux êtres. Bernard se sentait pris au piège ; Laura se dépitait d’être surprise en compagnie. Ils se regardèrent tous deux comme se regar-