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trouble, et ne s’en souvint qu’en le sentant sous elle basculer. Elle poussa soudain un petit cri, tout à fait différent du long gémissement de tout à l’heure, glissa de côté, et l’instant d’après se trouva assise sur le tapis entre les bras de Bernard qui s’empressait. Confus, mais amusé pourtant, il avait dû mettre genou à terre. Le visage de Laura se trouva donc tout près du sien ; il la regarda rougir. Elle fit effort pour se relever. Il l’aida.

— Vous ne vous êtes pas fait mal ?

— Non, merci ; grâce à vous. Ce fauteuil est ridicule, on l’a déjà réparé une fois… Je crois qu’en remettant le pied bien droit, il tiendra.

— Je vais l’arranger, dit Bernard. — Là !… Voulez-vous l’essayer ? — Puis se reprenant : — Ou permettez… C’est plus prudent que je l’essaye d’abord. Vous voyez qu’il tient très bien, maintenant. Je puis remuer les jambes (ce qu’il fit en riant). Puis, se levant : — Rasseyez-vous ; et, si vous me permettez de rester encore un instant, je vais prendre une chaise. Je m’assieds près de vous ! et vous empêcherai bien de tomber ; n’ayez pas peur… Je voudrais faire quelque chose d’autre pour vous.

Il y avait tant de flamme dans ses propos, tant de réserve dans ses manières, et dans ses gestes tant de grâce, que Laura ne put s’empêcher de sourire :

— Vous ne m’avez pas dit votre nom.

— Bernard.

— Oui ; mais votre nom de famille ?