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glote ? est-ce possible ? Lui, Bernard !… Il s’élance pour la soutenir, et s’agenouille devant elle, et murmure à travers ses sanglots :

— Ah ! pardon… Pardon ; je vous ai blessée… J’ai su que vous étiez sans ressources, et… j’aurais voulu vous aider.

Mais Laura, haletante, se sent défaillir. Elle cherche des yeux où s’asseoir. Bernard, qui tient les yeux levés vers elle, a compris son regard. Il bondit vers un petit fauteuil au pied du lit ; d’un geste brusque, il l’amène jusqu’auprès d’elle, qui s’y laisse lourdement choir.

Ici intervint un incident grotesque, et que j’hésite à raconter ; mais ce fut lui qui décida des relations de Bernard et de Laura, les tirant inopinément d’embarras. Je ne chercherai donc pas à ennoblir artificiellement cette scène :

Pour le prix de pension que payait Laura, (je veux dire : pour celui que l’aubergiste réclamait d’elle), on ne pouvait s’attendre à ce que les meubles de la chambre fussent bien élégants ; mais on était en droit de les espérer solides. Or, le petit fauteuil bas, que Bernard poussait vers Laura, boîtait un peu ; c’est-à-dire qu’il avait une grande propension à replier un de ses pieds, comme fait l’oiseau sous son aile, ce qui est naturel à l’oiseau mais insolite et regrettable pour un fauteuil ; aussi celui-ci cachait-il de son mieux cette infirmité sous une frange épaisse. Laura connaissait son fauteuil et savait qu’il ne le fallait manier qu’avec une précaution extrême ; mais, elle n’y pensait plus, dans son