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Olivier rougit en voyant approcher Bernard et, quittant assez brusquement une jeune femme avec laquelle il causait, s’éloigna. Bernard était son ami le plus intime, aussi Olivier prenait-il grand soin de ne paraître point le rechercher ; il feignait même parfois de ne pas le voir.

Avant de le rejoindre, Bernard devait affronter plusieurs groupes, et, comme lui de même affectait de ne pas rechercher Olivier, il s’attardait.

Quatre de ses camarades entouraient un petit barbu à pince-nez sensiblement plus âgé qu’eux, qui tenait un livre. C’était Dhurmer.

— Qu’est-ce que tu veux, disait-il, en s’adressant plus particulièrement à l’un des autres, mais manifestement heureux d’être écouté par tous. J’ai poussé jusqu’à la page trente sans trouver une seule couleur, un seul mot qui peigne. Il parle d’une femme ; je ne sais même pas si sa robe était rouge ou bleue. Moi, quand il n’y a pas de couleurs, c’est bien simple, je ne vois rien. — Et par besoin d’exagérer d’autant plus qu’il se sentait moins pris au sérieux, il insistait : — Absolument rien.

Bernard n’écoutait plus le discoureur ; il jugeait malséant de s’écarter trop vite, mais déjà prêtait l’oreille à d’autres qui se querellaient derrière lui et qu’Olivier avait rejoints après avoir laissé la jeune femme ; l’un de ceux-ci, assis sur un banc, lisait l’Action Française.

Combien Olivier Molinier, parmi tous ceux-ci, paraît grave ! Il est l’un des plus jeunes pourtant. Son visage presque enfantin encore et son regard