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il s’arrêta, voulut préparer son entrée, chercha des phrases ; rien ne vint ; alors, brusquant son courage, il frappa. Une voix, douce comme celle d’une sœur, et craintive un peu lui sembla-t-il, dit :

— Entrez.

Laura était vêtue très simplement, tout de noir, on l’eût dite en deuil. Depuis quelques jours qu’elle était à Paris, elle attendait confusément quelque chose ou quelqu’un qui vînt la tirer de l’impasse. Elle avait fait fausse route, à n’en pas douter ; elle se sentait fourvoyée. Elle avait la triste habitude de compter sur l’événement plus que sur elle-même. Elle n’était pas sans vertu, mais se sentait sans force aucune, abandonnée. À l’entrée de Bernard, elle leva une main vers son visage, comme fait celui qui retient un cri ou qui veut préserver ses yeux d’une trop vive lumière. Elle était debout, recula d’un pas, et, se trouvant tout près de la fenêtre, de son autre main saisit le rideau.

Bernard attendait qu’elle l’interrogeât ; mais elle se taisait, attendant qu’il parlât. Il la regardait ; il tâchait en vain de sourire, le cœur battant.

— Excusez-moi, Madame, dit-il enfin, de venir vous troubler ainsi. Édouard X., que je sais que vous connaissez, est arrivé à Paris ce matin même. J’ai quelque chose d’urgent à lui communiquer ; j’ai pensé que vous pourriez me donner son adresse, et… excusez-moi de venir ainsi sans façons vous la demander.

Bernard aurait été moins jeune. Laura sans doute