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la valise, mais, l’ayant prise, il est certain que j’ai puisé dans la valise un vif sentiment du devoir. L’important, c’est de surprendre Laura avant qu’Édouard ne l’ait revue, et de me présenter à elle, et de m’offrir d’une manière qui ne puisse lui laisser croire que je puisse être un chenapan. Le reste ira tout seul. J’ai dans mon portefeuille, à présent, de quoi soulager l’infortune aussi magnifiquement que le plus généreux et le plus compatissant des Édouards. La seule chose qui m’embarrasse, c’est la manière. Car, née Vedel, et bien qu’enceinte en dépit des lois, Laura doit être délicate. Je l’imagine volontiers de ces femmes qui se rebiffent, vous crachent au front leur mépris et déchirent en petits morceaux les billets qu’on leur tend bienveillamment, mais dans une insuffisante enveloppe. Comment lui présenter ces billets ? Comment me présenter moi-même ? Voilà le hic. Dès qu’on sort du légal et des chemins battus, quel maquis ! Pour m’introduire dans une intrigue aussi corsée, je suis décidément un peu jeune. Mais, parbleu ! c’est ce qui m’aidera. Inventons un aveu candide ; une histoire à me faire plaindre et à l’intéresser à moi. Le gênant, c’est que cette histoire va devoir servir également pour Édouard ; la même, et ne me couper point. Bah ! nous trouverons bien. Comptons sur l’inspiration du moment…

Il avait atteint, rue de Beaune, l’adresse que donnait Laura. L’hôtel était des plus modestes, mais propre et de décent aspect. Sur l’indication du portier, il monta trois étages. Devant la porte du 16,