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« — Oh ! nulle part. Je ne parais jamais si pressé que lorsque je n’ai rien à faire.

« Nous avons fait quelques pas ensemble, mais sans trouver rien à nous dire. Certainement il était ennuyé d’avoir été rencontré.

« 12 Novembre. — Il a ses parents, un frère aîné, des camarades… Je me redis cela le long du jour, et que je n’ai que faire ici. De tout ce qui lui manquerait, je saurais lui tenir lieu sans doute ; mais rien ne lui manque. Il n’a besoin de rien ; et si sa gentillesse m’enchante, rien en elle ne me permet de me méprendre… Ah ! phrase absurde, que j’écris malgré moi, et où se livre la duplicité de mon cœur… Je m’embarque demain pour Londres. J’ai pris soudain la résolution de partir. Il est temps.

« Partir parce que l’on a trop grande envie de rester !… Un certain amour de l’ardu, et l’horreur de la complaisance (j’entends celle envers soi) c’est peut-être, de ma première éducation puritaine, ce dont j’ai le plus de mal à me nettoyer.

« Acheté hier, chez Smith, un cahier déjà tout anglais, qui fera suite à celui-ci, sur lequel je ne veux plus rien écrire. Un cahier neuf…

« Ah ! si je pouvais ne pas m’emmener ! »