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un instant regardée, l’avait remise dans son portefeuille, qu’il glissa dans sa poche.

« — Quand sa mère vient à Paris, elle ne voit que Madame La Pérouse, qui me répond, si je l’interroge : « Vous n’avez qu’à le lui demander. » Elle dit cela, mais, au fond, elle serait désolée que je la voie. Elle a toujours été jalouse. Tout ce qui s’attachait à moi, elle a toujours voulu me l’enlever… Le petit Boris fait son éducation en Pologne ; dans un collège de Varsovie, je crois. Mais il voyage souvent avec sa mère. — Puis, dans un grand transport : — Dites ! auriez-vous cru qu’il était possible d’aimer un enfant qu’on n’a jamais vu ?… Eh bien ! ce petit, c’est aujourd’hui ce que j’ai de plus cher au monde… Et il n’en sait rien !

« De grands sanglots entrecoupaient ses phrases. Il se souleva de sa chaise et se jeta, tomba presque, entre mes bras. J’aurais fait je ne sais quoi pour apporter un soulagement à sa détresse ; mais que pouvais-je ? Je me levai, car je sentais son corps maigre glisser contre moi et je crus qu’il allait tomber à genoux. Je le soutins, le pressai, le berçai comme un enfant. Il s’était ressaisi. Madame de La Pérouse appelait dans la pièce voisine.

« — Elle va venir… Vous ne tenez pas à la voir, n’est-ce pas ?… D’ailleurs, elle est devenue complètement sourde. Partez vite. — Et comme il m’accompagnait sur le palier : — Ne restez pas trop longtemps sans venir (il y avait de la supplication dans sa voix). Adieu ; adieu.