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« — Et votre petit-fils ?…

« Un étrange sourire passa sur son visage ; il se leva.

« — Attendez un instant ; je vais vous montrer sa photographie. Et de nouveau il sortit en courant à petits pas, la tête en avant. Quand il revint, ses doigts tremblaient en cherchant l’image dans un gros portefeuille. Il se pencha vers moi en me la tendant, et tout bas :

« — Je l’ai prise à Madame La Pérouse sans qu’elle s’en doute. Elle croit l’avoir perdue.

« — Quel âge a-t-il ? ai-je demandé.

« — Treize ans. Il paraît plus âgé, n’est-ce pas ? Il est très délicat.

« Ses yeux s’étaient de nouveau remplis de larmes ; il tendait la main vers la photographie, comme désireux de la reprendre vite. Je me penchai vers la clarté insuffisante du réverbère ; il me parut que l’enfant lui ressemblait ; je reconnaissais le grand front bombé, les yeux rêveurs du vieux La Pérouse. Je crus lui faire plaisir en le lui disant ; il protesta :

« — Non, non, c’est à mon frère qu’il ressemble ; à un frère que j’ai perdu…

« L’enfant était bizarrement vêtu d’une blouse russe à broderies.

« — Où vit-il ?

« — Mais comment voulez-vous que je le sache ? s’écria La Pérouse dans une sorte de désespoir. Je vous dis qu’on me cache tout.

« Il avait repris la photographie, et, après l’avoir