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reconnaître aucun défaut. Mais nos idées n’étaient pas les mêmes sur l’éducation des enfants. Chaque fois que je voulais morigéner mon fils, Madame La Pérouse prenait son parti contre moi ; à l’entendre, il aurait fallu tout lui passer. Ils se concertaient contre moi. Elle lui apprenait à mentir… À peine âgé de vingt ans, il a pris une maîtresse. C’était une élève à moi, une jeune Russe, très bonne musicienne, à qui je m’étais beaucoup attaché. Madame La Pérouse était au courant ; mais, à moi, on cachait tout, comme toujours. Et naturellement, je ne me suis pas aperçu qu’elle était enceinte. Rien, vous dis-je ; je ne me doutais de rien. Un beau jour, on me fait savoir que mon élève est souffrante ; qu’elle restera quelque temps sans venir. Quand je parle d’aller la voir, on me dit qu’elle a changé d’adresse, qu’elle est en voyage… Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai appris qu’elle était allée en Pologne pour ses couches. Mon fils était parti la rejoindre… Ils ont vécu plusieurs années ensemble ; mais il est mort avant de l’avoir épousée.

« — Et… elle, l’avez-vous revue ?

« On eut dit qu’il butait du front contre un obstacle :

« — Je n’ai pas pu lui pardonner de m’avoir trompé. Madame La Pérouse reste en correspondance avec elle. Quand j’ai su qu’elle était dans une grande misère, je lui ai envoyé de l’argent… à cause du petit. Mais de cela, Madame La Pérouse n’en sait rien. Elle-même, l’autre, n’a pas su que cet argent venait de moi.