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signification ; puis, soudain, se penchant vers moi :

« — Madame La Pérouse traverse une crise terrible… et qui me fait beaucoup souffrir.

« — Une crise de quoi ?… demandai-je.

« — Oh ! de rien, dit-il en haussant les épaules, comme s’il allait de soi. Elle devient complètement folle. Elle ne sait plus quoi inventer.

« Je soupçonnais depuis longtemps la profonde désunion de ce vieux ménage, mais désespérais d’obtenir plus de précisions :

« — Mon pauvre ami, fis-je en m’apitoyant. Et… depuis combien de temps ?

« Il réfléchit un instant, comme s’il ne comprenait pas bien ma question.

« — Oh ! depuis très longtemps… depuis que je la connais. Mais se reprenant presque aussitôt : — Non ; à vrai dire c’est seulement avec l’éducation de mon fils que cela a commencé à se gâter.

« Je fis un geste d’étonnement, car je croyais le ménage La Pérouse sans enfants. Il releva son front, qu’il avait gardé dans ses mains, et, sur un ton plus calme :

« — Je ne vous ai jamais parlé de mon fils ?… Écoutez, je veux tout vous dire. Il faut aujourd’hui que vous sachiez tout. Ce que je vais vous raconter, je ne puis le dire à personne… Oui, c’est avec l’éducation de mon fils ; vous voyez qu’il y a longtemps de cela. Les premiers temps de notre ménage avaient été charmants. J’étais très pur quand j’avais épousé Madame La Pérouse. Je l’aimais avec innocence… oui, c’est le meilleur mot, et je ne consentais à lui