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« — Oh ! ce n’est pas la mémoire seulement qui faiblit. Tenez : quand je marche, il me semble à moi que je vais encore assez vite ; mais, dans la rue, à présent tous les gens me dépassent.

« — C’est, lui dis-je, qu’on marche beaucoup plus vite aujourd’hui.

« — Ah ! n’est-ce pas ?… C’est comme pour les leçons que je donne : les élèves trouvent que mon enseignement les retarde ; elles veulent aller plus vite que moi. Elles me lâchent… Aujourd’hui, tout le monde est pressé.

« Il ajouta à voix si basse que je l’entendis à peine :

« — Je n’en ai presque plus.

« Je sentais en lui une telle détresse que je n’osais l’interroger. Il reprit :

« — Madame La Pérouse ne veut pas comprendre cela. Elle me dit que je ne m’y prends pas comme il faut ; que je ne fais rien pour les garder et encore moins pour en avoir de nouvelles.

« — Cette élève que vous attendiez… ai-je demandé gauchement.

« — Oh ! celle-là, c’en est une que je prépare pour le Conservatoire. Elle vient travailler ici tous les jours.

« — Cela veut dire qu’elle ne vous paie pas.

« — Madame La Pérouse me le reproche assez ! Elle ne comprend pas qu’il n’y a que ces leçons qui m’intéressent ; oui, celles que j’ai vraiment plaisir à… donner. Je réfléchis beaucoup depuis quelque temps. Tenez… il y a quelque chose que je voulais vous demander : pourquoi est-il si rarement question