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rien à répondre. Puis, sur ce lit où d’abord elle était assise, s’étendit tout de son long contre Olivier, de sorte que leurs deux têtes se touchèrent. Armand tout aussitôt bondit, s’empara d’un grand paravent replié au pied du lit contre la muraille et, comme un pître, le déploya de manière à cacher le couple, puis, toujours bouffonnant, penché vers moi, mais à voix haute :

« — Vous ne saviez peut-être pas que ma sœur était une putain ?

« C’en était trop. Je me levai ; bousculai le paravent derrière lequel Olivier et Sarah se redressèrent aussitôt. Elle avait les cheveux défaits. Olivier se leva, alla vers la toilette et se passa de l’eau sur le visage.

« — Venez par ici. Je veux vous montrer quelque chose, dit Sarah en me prenant par le bras.

« Elle ouvrit la porte de la chambre et m’entraîna sur le palier.

« — J’ai pensé que cela pourrait intéresser un romancier. C’est un carnet que j’ai trouvé par hasard ; un journal intime de papa ; je ne comprends pas comment il l’a laissé traîner. N’importe qui pouvait le lire. Je l’ai pris pour ne pas qu’Armand le voie. Ne lui en parlez pas. Il n’y en a pas très long. Vous pouvez le lire en dix minutes et me le rendre avant de partir.

« — Mais Sarah, dis-je en la regardant fixement, c’est affreusement indiscret.

« Elle haussa les épaules.

« — Oh ! si vous croyez cela, vous allez être bien