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les prendre ; et c’est d’abord en leur montrant qu’on les comprend. Je lui ai promis de ne point souffler mot de cela à ses parents ; tout en l’engageant à en parler à sa mère que cela rendrait si heureuse. Mais il paraît qu’avec ses camarades, ils se sont engagés d’honneur à n’en rien dire. J’aurais été maladroit d’insister. Mais, avant de nous quitter, nous avons ensemble prié Dieu de bénir leur ligue.

« Pauvre cher vieux père Azaïs ! Je suis convaincu que le petit l’a fourré dedans et qu’il n’y a pas un mot de vrai dans tout cela. Mais comment Georges eût-il pu répondre différemment ?… Nous tâcherons de tirer cela au clair.

« Je ne reconnus pas d’abord la chambre de Laura. On avait retapissé la pièce ; l’atmosphère était toute changée. Sarah de même me paraissait méconnaissable. Pourtant je croyais bien la connaître. Elle s’est toujours montrée très confiante avec moi. De tout temps, j’ai été pour elle celui à qui on peut tout dire. Mais j’étais resté de longs mois sans retourner chez les Vedel. Sa robe découvrait ses bras et son cou. Elle paraissait grandie, enhardie. Elle était assise sur un des deux lits, à côté d’Olivier, contre lui, qui s’était étendu sans façons et qui semblait dormir. Certainement il était ivre ; et certainement je souffrais de le voir ainsi ; mais il me paraissait plus beau que jamais. Ivres, ils l’étaient plus ou moins tous les quatre. La petite Anglaise éclatait de rire, d’un rire aigu qui me faisait mal aux oreilles, aux plus absurdes propos d’Armand. Celui-ci disait