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mutuelle ; ils n’y admettent que ceux qu’ils en jugent dignes et qui ont donné des preuves de vertu ; une espèce de Légion d’Honneur enfantine. Est-ce que vous ne trouvez pas cela charmant ? Chacun d’eux porte à la boutonnière un petit ruban — assez peu apparent il est vrai, mais que j’ai tout de même remarqué. J’ai fait venir l’enfant dans mon bureau, et quand je lui ai demandé l’explication de cet insigne, il s’est d’abord troublé. Le cher petit s’attendait à une réprimande. Puis, très rouge et avec beaucoup de confusion, il m’a raconté la formation de ce petit club. Ce sont des choses, voyez-vous, dont il faut se garder de sourire ; on risquerait de froisser des sentiments très délicats… Je lui ai demandé pourquoi lui et ses camarades ne faisaient pas cela tout ouvertement, au grand jour ? Je lui ai dit quelle admirable force de propagande, de prosélytisme ils pourraient avoir, quel beau rôle ils pourraient jouer… Mais à cet âge on aime le mystère… Pour le mettre en confiance, je lui ai dit à mon tour — que, de mon temps, c’est-à-dire quand j’avais son âge, je m’étais enrôlé dans une association de ce genre, dont les membres portaient le beau nom de « chevaliers du devoir » ; chacun de nous recevait du président de la ligue un carnet où il inscrivait ses défaillances, ses manquements, avec une absolue sincérité. Il s’est mis à sourire et j’ai bien vu que cette histoire des carnets lui donnait une idée ; je n’ai pas insisté, mais je ne serais pas étonné qu’il introduisît ce système de carnets parmi ses émules. Voyez-vous, ces enfants, il faut savoir