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Alors vous venez, n’est-ce pas ? On vous attend.

« Je promis de les y rejoindre.

« Depuis qu’il porte les cheveux en brosse, le vieux Azaïs ne ressemble plus du tout à Whitman. Il a laissé à la famille de son gendre le premier et le second étage de l’immeuble. De la fenêtre de son bureau (acajou, reps et moleskine), il domine de haut la cour et surveille les allées et venues des élèves.

« — Voyez comme on me gâte, m’a-t-il dit, en me montrant sur sa table un énorme bouquet de chrysanthèmes, que la mère d’un des élèves, vieille amie de la famille, venait de laisser. L’atmosphère de la pièce était si austère qu’il semblait que des fleurs y dussent faner aussitôt. — J’ai laissé un instant la société. Je me fais vieux et le bruit des conversations me fatigue. Mais ces fleurs vont me tenir compagnie. Elles parlent à leur façon et savent raconter la gloire du Seigneur mieux que les hommes (ou quelque chose de cette farine).

« Le digne homme n’imagine pas combien il peut raser les élèves avec des propos de ce genre ; chez lui si sincères qu’ils découragent l’ironie. Les âmes simple comme celles d’Azaïs sont assurément celles qu’il m’est le plus difficile de comprendre. Dès qu’on est un peu moins simple soi-même, on est contraint, en face d’elles, à une espèce de comédie ; peu honnête ; mais qu’y faire ? On ne peut discuter, mettre au point ; on est contraint d’acquiescer. Azaïs impose autour de lui l’hypocrisie, pour peu