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cédant aux injonctions de Laura, mais elle fit un mouvement vers moi :

« — Écoutez, Édouard, je voudrais vous dire encore… et brusquement sa voix devint très grave — nous allons peut-être rester longtemps sans nous revoir. Je voudrais que vous me redisiez… Je voudrais savoir si je puis encore compter sur vous… comme sur un ami.

« Jamais je n’eus plus envie de l’embrasser qu’à ce moment-là ; mais je me contentai de baiser sa main tendrement et impétueusement, en murmurant :

« — Quoi qu’il advienne. — Et pour lui cacher les larmes que je sentais monter à mes yeux, je m’enfuis vite à la recherche d’Olivier.

« Il guettait ma sortie, assis près d’Armand sur une marche de l’escalier. Il était certainement un peu ivre. Il se leva, me tira par le bras :

« — Venez, me dit-il. On va fumer une cigarette dans la chambre de Sarah. Elle nous attend.

« — Dans un instant. Il faut d’abord que j’aille voir Azaïs. Mais je ne pourrai jamais trouver la chambre.

« — Parbleu, vous la connaissez bien ; c’est l’ancienne chambre de Laura, s’écria Armand. Comme c’était une des meilleures chambres de la maison, on y a fait coucher la pensionnaire ; mais comme elle ne paie pas assez, elle partage la chambre avec Sarah. On leur a mis deux lits pour la forme ; mais c’était assez inutile…

« — Ne l’écoutez pas, dit Olivier en riant et en le bousculant ; il est saoûl.

« — Je te conseille de parler, repartit Armand.