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venez comme il s’est dressé tout d’un coup, lui qui d’ordinaire restait le nez sur son assiette ; et, le bras étendu : « Sortez ! »

« — Il paraissait énorme, effrayant ; il était indigné. Je crois vraiment que Strouvilhou a eu peur.

« — Il a jeté sa serviette sur la table et a disparu. Il est parti sans nous payer ; et depuis on ne l’a jamais revu.

« — Curieux de savoir ce qu’il a pu devenir.

« — Pauvre grand-père, a repris Laura un peu tristement, comme il m’a paru beau ce jour-là. Il vous aime bien, vous savez. Vous devriez monter le retrouver dans son bureau, un instant. Je suis sûre que vous lui feriez beaucoup de plaisir.

« Je transcris tout cela aussitôt, ayant éprouvé combien il est difficile par la suite de retrouver la justesse de ton d’un dialogue. Mais à partir de ce moment j’ai commencé d’écouter Laura plus distraitement. Je venais d’apercevoir, assez loin de moi, il est vrai, Olivier, que j’avais perdu de vue depuis que Laura m’avait entraîné dans le bureau de son père. Il avait les yeux brillants et les traits extraordinairement animés. J’ai su plus tard que Sarah s’était amusée à lui faire boire coup sur coup six coupes de champagne. Armand était avec lui, et tous deux, à travers les groupes, poursuivaient Sarah et une jeune Anglaise de l’âge de Sarah, pensionnaire chez les Azaïs depuis plus d’un an. Sarah et son amie quittèrent enfin la pièce et, par la porte ouverte, je vis les deux garçons s’élancer à leur poursuite, dans l’escalier. J’allais sortir à mon tour,