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« — Vous vous souvenez du jour où il a demandé à papa si, quand il prêchait, il gardait son veston sous sa robe ?

« — Parbleu ! Il demandait cela si doucement que votre pauvre père n’y voyait pas malice. C’était à table ; je revois tout si bien…

« — Et papa qui lui a répondu candidement que la robe n’était pas bien épaisse, et qu’il craignait de prendre froid sans son veston.

« — Et l’air navré qu’a pris alors Strouvilhou ! Et comme il a fallu le presser pour le faire déclarer enfin que « cela n’avait évidemment pas grande importance », mais que, lorsque votre père faisait de grands gestes, les manches du veston réapparaissaient sous la robe, et que cela était d’un fâcheux effet sur certains fidèles.

« — À la suite de quoi ce pauvre papa a prononcé tout un sermon les bras collés au corps et raté tous ses effets d’éloquence.

« — Et, le dimanche suivant, il est rentré avec un gros rhume, pour avoir dépouillé le veston. Oh ! et la discussion sur le figuier stérile de l’Évangile et les arbres qui ne portent pas de fruits… « Je ne suis pas un arbre fruitier, moi. De l’ombre, c’est ça que je porte, Monsieur le pasteur : je vous couvre d’ombre. »

« — Ça encore, c’était dit à table.

« — Naturellement ; on ne le voyait jamais qu’aux repas.

« — Et c’était dit d’un ton si hargneux. C’est alors que grand-père l’a mis à la porte. Vous vous sou-