Page:Gide - Les Faux-monnayeurs.djvu/133

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parcimonie. Pour n’y avoir point été sensible plus tôt, il fallait que j’y fusse habitué dès l’enfance… Je repensai soudain à mon éveil religieux et à mes premières ferveurs ; à Laura et à cette école du dimanche où nous nous retrouvions, moniteurs tous deux, pleins de zèle et discernant mal, dans cette ardeur qui consumait en nous tout l’impur, ce qui appartenait à l’autre et ce qui revenait à Dieu. Et je me pris tout aussitôt à me désoler qu’Olivier n’eût point connu ce premier dénuement sensuel qui jette l’âme si périlleusement loin au-dessus des apparences, qu’il n’eût pas de souvenirs pareils aux miens ; mais, de le sentir étranger à tout ceci, m’aidait à m’en évader moi-même. Passionnément, je serrai cette main qu’il abandonnait toujours dans la mienne, mais qu’à ce moment il retira brusquement. Il rouvrit les yeux pour me regarder, puis avec un sourire d’une espièglerie toute enfantine, que tempérait l’extraordinaire gravité de son front, il chuchota, penché vers moi — tandis que le pasteur précisément, rappelant les devoirs de tous les chrétiens, prodiguait aux nouveaux époux conseils, préceptes et pieuses objurgations :

« — Moi, je m’en fous : je suis catholique.

« Tout en lui m’attire et me demeure mystérieux.

« À la porte de la sacristie, j’ai retrouvé le vieux La Pérouse. Il m’a dit un peu tristement, mais sur un ton où n’entrait nul reproche :

« — Vous m’oubliez un peu, je crois.

« Prétexté je ne sais quelles occupations pour m’ex-