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de toute la famille, à commencer par celle du grand-père Azaïs, dont il avait été camarade de classe à Strasbourg avant la guerre, puis condisciple à la faculté de théologie. J’ai cru qu’il ne viendrait pas à bout d’une phrase compliquée où il tentait d’expliquer qu’en prenant la direction d’une pension et se dévouant à l’éducation de jeunes enfants, son ami n’avait pour ainsi dire pas quitté le pastorat. Puis l’autre génération a eu son tour. Il a parlé également avec édification de la famille Douviers, dont il apparaissait qu’il ne connaissait pas grand’chose. L’excellence des sentiments palliait les défaillances oratoires et l’on entendait se moucher nombre de membres de l’assistance. J’aurais voulu savoir ce que pensait Olivier  ; je songeai qu’élevé en catholique, le culte protestant devait être nouveau pour lui et qu’il venait sans doute pour la première fois dans ce temple. La singulière faculté de dépersonnalisation qui me permet d’éprouver comme mienne l’émotion d’autrui, me forçait presque d’épouser les sensations d’Olivier, celles que j’imaginais qu’il devait avoir  ; et bien qu’il tînt les yeux fermés, ou peut-être à cause de cela même, il me semblait que je voyais à sa place et pour la première fois, ces murs nus, l’abstraite et blafarde lumière où baignait l’auditoire, le détachement cruel de la chaire sur le mur blanc du fond, la rectitude des lignes, la ridigité des colonnes qui soutiennent les tribunes, l’esprit même de cette architecture anguleuse et décolorée dont m’apparaissaient pour la première fois la disgrâce rébarbative, l’intransigeance et la