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tantes et de cousins. Famille Douviers représentée par trois tantes en grand deuil, dont le catholicisme eût fait trois nonnes, qui, d’après ce que l’on m’a dit, vivent ensemble, et avec qui vivait également Douviers depuis la mort de ses parents. Dans la tribune, les élèves de la pension. D’autres amis de la famille achevaient de remplir la salle, au fond de laquelle je, suis resté ; non loin de moi, j’ai vu ma sœur avec Olivier ; Georges devait être dans la tribune avec des camarades de son âge. Le vieux La Pérouse à l’harmonium ; son visage vieilli, plus beau, plus noble que jamais, mais son œil sans plus cette flamme admirable qui me communiquait sa ferveur, du temps de ses leçons de piano. Nos regards se sont croisés et j’ai senti, dans le sourire qu’il m’adressait, tant de tristesse que je me suis promis de le retrouver à la sortie. Des personnes ont bougé et une place auprès de Pauline s’est trouvée libre. Olivier m’a tout aussitôt fait signe, a poussé sa mère pour que je puisse m’asseoir à côté de lui ; puis m’a pris la main et l’a longuement retenue dans la sienne. C’est la première fois qu’il agit aussi familièrement avec moi. Il a gardé les yeux fermés pendant presque toute l’interminable allocution du pasteur, ce qui m’a permis de le contempler longuement ; il ressemble à ce pâtre endormi d’un bas-relief du musée de Naples, dont j’ai la photographie sur mon bureau. J’aurais cru qu’il dormait lui-même, sans le frémissement de ses doigts ; sa main palpitait comme un oiseau dans la mienne.

« Le vieux pasteur a cru devoir retracer l’histoire