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bien qu’il m’a dit cela aussi platement). — je voudrais vous en remercier — et que vous ne trouviez pas cela ridicule, car je le fais très sincèrement — a-t-il ajouté, en s’efforçant de sourire, mais d’une voix tremblante et avec les larmes aux yeux.

« Je ne savais que lui dire, car je me sentais beaucoup moins ému que j’aurais dû l’être et complètement incapable d’une effusion réciproque. J’ai dû lui paraître un peu sec ; mais il m’agaçait. J’ai néanmoins serré le plus chaleureusement que j’ai pu la main qu’il me tendait. Ces scènes où l’un offre plus de son cœur qu’on ne lui demande, sont toujours pénibles. Sans doute pensait-il forcer ma sympathie. S’il eut été plus perspicace, il se fût senti volé ; mais déjà je le voyais reconnaissant de son propre geste, dont il croyait surprendre le reflet dans mon cœur. Comme je ne disais rien, et gêné peut-être par mon silence :

« — Je compte, a-t-il ajouté bientôt, sur le dépaysement de sa vie à Cambridge pour empêcher des comparaisons de sa part, qui seraient à mon désavantage.

« Qu’entendait-il par là ? Je m’efforçais de ne pas comprendre. Peut-être espérait-il une protestation ; mais qui n’eût fait que nous engluer davantage. Il est de ces gens dont la timidité ne peut supporter les silences et qui croient devoir les meubler par une avance exagérée ; de ceux qui vous disent ensuite : « J’ai toujours été franc avec vous. » Eh ! parbleu, l’important n’est pas tant d’être franc que de permettre à l’autre de l’être. Il aurait dû se