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XII


Journal d’Édouard
(Suite)

« 2 Novembre. — Longue conversation avec Douviers, qui sort avec moi de chez les parents de Laura et m’accompagne jusqu’à l’Odéon à travers le Luxembourg. Il prépare une thèse de doctorat sur Wordsworth, mais aux quelques mots qu’il m’en dit, je sens bien que les qualités les plus particulières de la poésie de Wordsworth lui échappent. Il aurait mieux fait de choisir Tennyson. Je sens je ne sais quoi d’insuffisant chez Douviers, d’abstrait et de jobard. Il prend toujours les choses et les êtres pour ce qu’ils se donnent ; c’est peut-être parce que lui se donne toujours pour ce qu’il est.

« — Je sais, m’a-t-il dit, que vous êtes le meilleur ami de Laura. Je devrais sans doute être un peu jaloux de vous. Je ne puis pas. Au contraire, tout ce qu’elle m’a dit de vous m’a fait à la fois la comprendre mieux, et souhaiter de devenir votre ami. Je lui ai demandé l’autre jour si vous ne m’en vouliez pas trop de l’épouser ? Elle m’a répondu qu’au contraire vous lui aviez conseillé de le faire (je crois