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regard, ou plus exactement dès son premier regard, j’ai senti que ce regard s’emparait de moi et que je ne disposais plus de ma vie.

« Pauline insiste pour que je vienne la voir plus souvent. Elle me prie instamment de m’occuper un peu de ses enfants. Elle me laisse entendre que leur père les connaît mal. Plus je cause avec elle et plus elle me paraît charmante. Je ne comprends plus comment j’ai pu rester si longtemps sans la fréquenter. Les enfants sont élevés dans la religion catholique ; mais elle se souvient de sa première éducation protestante, et bien qu’elle ait quitté le foyer de notre père commun au moment où ma mère y est entrée, je découvre entre elle et moi maints traits de ressemblance. Elle a mis ses enfants en pension chez les parents de Laura, où j’ai moi-même si longtemps habité. La pension Azaïs, du reste, se pique de n’avoir pas de couleur confessionnelle particulière (de mon temps, on y voyait jusqu’à des Turcs), encore que le vieil Azaïs, l’ancien ami de mon père, qui l’a fondée et qui la dirige encore, ait été d’abord pasteur.

« Pauline reçoit d’assez bonnes nouvelles du sanatorium où Vincent achève de se guérir. Elle lui parle de moi, m’a-t-elle dit, dans ses lettres, et voudrait que je le connaisse mieux ; car je n’ai fait que l’entrevoir. Elle fonde sur son fils aîné de grands espoirs ; le ménage se saigne pour lui permettre bientôt de s’établir — je veux dire : d’avoir un logement indépendant pour recevoir la clientèle. En attendant, elle a trouvé le moyen de lui réserver