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« — Georges ! Viens dire bonjour à ton oncle.

« Le petit s’approcha, me tendit la main ; je l’embrassai… J’admire la force de dissimulation des enfants : il ne laissa paraître aucune surprise ; c’était à croire qu’il ne me reconnaissait pas. Simplement, il rougit beaucoup ; mais sa mère put croire que c’était par timidité. Je pensai que peut-être il était gêné de retrouver le limier de tout à l’heure, car il nous quitta presque aussitôt et retourna dans la pièce voisine ; c’était la salle à manger, qui, je le compris, sert de salle d’étude aux enfants, entre les repas. Il reparut pourtant bientôt après, lorsque son père entra dans le salon, et profita de l’instant où l’on allait passer dans la salle à manger, pour s’approcher de moi et me saisir la main sans être vu de ses parents. Je crus d’abord à une marque de camaraderie, qui m’amusa ; mais non : il m’ouvrit la main que je refermais sur la sienne, y glissa un petit billet que certainement il venait d’écrire, puis replia mes doigts par-dessus, en serrant le tout très fort. Il va sans dire que je me prêtai au jeu : je cachai le petit billet dans une poche, d’où je ne le pus sortir qu’après le repas. Voici ce que j’y lus :

« Si vous racontez à mes parents l’histoire du livre, je (il avait barré : vous détesterai) dirai que vous m’avez fait des propositions.

« Et plus bas :

« Je sors quotidie du lycée à 10 h.

« Interrompu hier par la visite de X. Sa conversation m’a laissé dans un état de malaise.