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ques cahiers recouverts uniformément de papier bleu. J’en pris un ; c’était celui d’un cours d’histoire. Le petit avait écrit, dessus, son nom en grosses lettres. Mon cœur bondit en y reconnaissant le nom de mon neveu :

« Georges Molinier ».

(Le cœur de Bernard bondit également en lisant ces lignes, et toute cette histoire commença de l’intéresser prodigieusement.)

« Il sera difficile, dans Les Faux-Monnayeurs, de faire admettre que celui qui jouera ici mon personnage ait pu, tout en restant en bonnes relations avec sa sœur, ne connaître point ses enfants. J’ai toujours eu le plus grand mal à maquiller la vérité. Même changer la couleur des cheveux me paraît une tricherie qui rend pour moi le vrai moins vraisemblable. Tout se tient et je sens, entre tous les faits que m’offre la vie, des dépendances si subtiles qu’il me semble toujours qu’on n’en saurait changer un seul sans modifier tout l’ensemble. Je ne puis pourtant pas raconter que la mère de cet enfant n’est que ma demi-sœur, née d’un premier mariage de mon père ; que je suis resté sans la voir aussi longtemps que mes parents ont vécu ; que des affaires de succession ont forcé nos rapports… Tout cela est pourtant indispensable et je ne vois pas ce que je pourrais inventer d’autre pour éluder l’indiscrétion. Je savais que ma demi-sœur avait trois fils ; je ne connaissais que l’aîné, étudiant en médecine ; encore n’avais-je fait que l’entrevoir, car, atteint de tuber-