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pour un voleur ?… — avec une conviction, à me faire douter de ce que j’avais vu. Je sentis que j’allais perdre prise si j’insistais. Je sortis trois pièces de ma poche :

« — Allons ! va l’acheter. Je t’attends.

« Deux minutes plus tard, il ressortait de la boutique, feuilletant l’objet de sa convoitise. Je le lui pris des mains. C’était un vieux guide Joanne, de 71

« — Qu’est-ce que tu veux faire avec ça ? dis-je en le lui rendant. C’est trop vieux. Ça ne peut plus servir.

« Il protesta que si ; que, du reste, les guides plus récents coûtaient beaucoup trop cher, et que « pour ce qu’il en ferait » les cartes de celui-ci pourraient tout aussi bien lui servir. Je ne cherche pas à transcrire ses propres paroles, car elles perdraient leur caractère, dépouillées de l’extraordinaire accent faubourien qu’il y mettait et qui m’amusait d’autant plus que ses phrases n’étaient pas sans élégance.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Nécessaire d’abréger beaucoup cet épisode. La précision ne doit pas être obtenue par le détail du récit, mais bien, dans l’imagination du lecteur, par deux ou trois traits, exactement à la bonne place. Je crois du reste qu’il y aurait intérêt à faire raconter tout cela par l’enfant ; son point de vue est plus significatif que le mien. Le petit est à la fois gêné et flatté de l’attention que je lui porte. Mais la pesée de mon regard fausse un peu sa direction. Une personnalité trop tendre et inconsciente encore se défend et dérobe derrière une attitude. Rien n’est plus