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XI


Journal d’Édouard

« 1er Novembre. — Il y a quinze jours… — j’ai eu tort de ne pas noter cela aussitôt. Ce n’est pas que le temps m’ait manqué, mais j’avais le cœur encore plein de Laura — ou plus exactement je voulais ne point distraire d’elle ma pensée ; et puis je ne me plais à noter ici rien d’épisodique, de fortuit, et il ne me paraissait pas encore que ce que je vais raconter pût avoir une suite, ni comme l’on dit : tirer à conséquence ; du moins, je me refusais à l’admettre et c’était pour me le prouver, en quelque sorte, que je m’abstenais d’en parler dans mon journal ; mais je sens bien, et j’ai beau m’en défendre, que la figure d’Olivier aimante aujourd’hui mes pensées, qu’elle incline leur cours et que, sans tenir compte de lui, je ne pourrais ni tout à fait bien m’expliquer, ni tout à fait bien me comprendre.

« Je revenais au matin de chez Perrin, où j’allais surveiller le service de presse pour la réédition de mon vieux livre. Comme le temps était beau, je flânais le long des quais en attendant l’heure du déjeuner.