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X


Le soleil avait réveillé Bernard. Il s’était levé de son banc avec un violent mal de tête. Sa belle vaillance du matin l’avait quitté. Il se sentait abominablement seul et le cœur tout gonflé de je ne sais quoi de saumâtre qu’il se refusait à appeler de la tristesse, mais qui remplissait de larmes ses yeux. Que faire ? et où aller ?… S’il s’achemina vers la gare Saint-Lazare, à l’heure où il savait que devait s’y rendre Olivier, ce fut sans intention précise, et sans autre désir que de retrouver son ami. Il se reprochait son brusque départ au matin ; Olivier pouvait en avoir été peiné. N’était-il pas l’être que Bernard préférait sur terre ?… Quand il le vit au bras d’Édouard, un sentiment bizarre tout à la fois lui fit suivre le couple, et le retint de se montrer. Péniblement il se sentait de trop, et pourtant eût voulu se glisser entre eux. Édouard lui paraissait charmant ; à peine un peu plus grand qu’Olivier, d’allure à peine un peu moins jeune. C’est lui qu’il résolut d’aborder ; il attendait pour cela qu’Olivier l’eût quitté. Mais l’aborder sous quel prétexte ?

C’est à ce moment qu’il vit le petit bout de papier