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Il avait dit cela malgré lui ; puis, aussitôt, avait trouvé sa phrase ridicule.

— Fais-tu toujours des vers ?

— De temps en temps… J’aurais grand besoin de conseils. Il levait les yeux vers Édouard ; c’est « de vos conseils » qu’il voulait dire ; « de tes conseils ». Et le regard, à défaut de la voix, le disait si bien, qu’Édouard crut qu’il disait cela par déférence ou par gentillesse. Mais quel besoin eut-il de répondre, et avec tant de brusquerie :

— Oh ! les conseils, il faut savoir se les donner à soi-même, ou les chercher auprès de camarades ; ceux des aînés ne valent rien.

Olivier pensa : — Je ne lui en ai pourtant pas demandé ; pourquoi proteste-t-il ?

Chacun d’eux se dépitait à ne sortir de soi rien que de sec, de contraint ; et chacun d’eux, sentant la gêne et l’agacement de l’autre, s’en croyait l’objet et la cause. De tels entretiens ne peuvent donner rien de bon, si rien ne vient à la rescousse. Rien ne vint.

Olivier s’était mal levé ce matin. La tristesse qu’il avait eue à son réveil, de ne plus voir Bernard à son côté, de l’avoir laissé partir sans adieu, cette tristesse, un instant dominée par la joie de retrouver Édouard, montait en lui comme un flot sombre, submergeait toutes ses pensées. Il eût voulu parler de Bernard, raconter à Édouard tout et je ne sais quoi, l’intéresser à son ami.

Mais le moindre sourire d’Édouard l’eût blessé, et l’expression eût trahi les sentiments passionnés