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— Quand nous arriverons devant Condorcet, se répétait-il, je lui dirai : « À présent, il faut que je rentre ; au revoir. » Puis, devant le lycée, il se donna jusqu’au coin de la rue de Provence. Mais Édouard, à qui ce silence pesait également, ne pouvait admettre qu’ils se quittassent ainsi. Il entraîna son compagnon dans un café. Peut-être le porto qu’on leur servit les aiderait-il à triompher de leur gêne.

Ils trinquèrent.

— À tes succès, dit Édouard, en levant son verre. Quand est l’examen ?

— Dans dix jours.

— Et tu te sens prêt

Olivier haussa les épaules.

— Est-ce qu’on sait jamais. Il suffit d’être mal en train ce jour-là.

Il n’osait répondre : « oui », par crainte de montrer trop d’assurance. Ce qui le gênait aussi, c’était à la fois le désir et la crainte de tutoyer Édouard ; il se contentait de donner à chacune de ses phrases un tour indirect d’où, du moins, le « vous » était exclu, de sorte qu’il enlevait par cela même à Édouard l’occasion de solliciter un tutoiement qu’il souhaitait ; qu’il avait obtenu pourtant, il s’en souvenait bien, quelques jours avant son départ.

— As-tu bien travaillé ?

— Pas mal. Mais pas si bien que j’aurais pu.

— Les bons travailleurs ont toujours le sentiment qu’ils pourraient travailler davantage, dit Édouard sentencieusement.